1816 et l’annexion des Communes réunies à Genève.

200e anniversaire du libre droit d’établissement et d’exercice du culte pour les Juifs à Genève 

Il y a 200 ans, la chute définitive de Napoléon entraînait la tenue du Congrès de Vienne (9 juin 1815) qui redessinait les frontières de l’Europe.  Par le Traité de Paris du 20 novembre 1815 et le Traité de Turin du 16 mars 1816, une trentaine de communes catholiques dites « réunies » allaient être annexées à la République et canton de Genève pour rejoindre ainsi la Confédération Helvétique.

Territoires annexés. Cliquez sur l’image pour agrandir

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Six d’entre-elles étaient cédées par la France (Versoix, Collex-Bossy, Le Grand-Saconnex, Pregny, Vernier et Meyrin), et vingt-quatre autres par le Royaume de Sardaigne (Avusy, Laconnex, Soral, Perly-Certoux, Plan-les-Ouates, Bernex, Aire-la-Ville, Onex, Confignon, Lancy, Bardonnex, Compesières, Troinex, Veyrier, Chêne-Thônex, Puplinge, Presinge, Choulex, Meinier, Collonge-Bellerive, Corsier, Hermance, Anières et Carouge).

L’annexion: un bouleversement culturel et religieux

Pour Genève, le changement allait s’avérer fondamental, non seulement parce que son territoire s’agrandissait notablement, mais aussi parce que son identité culturelle allait connaître une profonde mutation avec l’absorption d’une population d’origine étrangère presque exclusivement composée de catholiques. Ce dernier point suscitait d’ailleurs des inquiétudes parmi la population genevoise de confession protestante qui craignait en effet de perdre sa prépondérance religieuse. Cette inquiétude fut du reste un des arguments avancés par les opposants à l’annexion pour exclure certaines communes, comme par exemple Gaillard ou encore Saint-Julien-en-Genevois.

Quant à la population juive, qui ne représentait qu’un très faible pourcentage dans les territoires annexés,  et qui vivait pour l’essentiel sur la commune de Carouge, il n’en fut guère question lors des différents Traités. Simple oubli, ou volonté des protagonistes de l’époque, toujours est-il que l’absence d’indication à ce sujet va tout de même poser un problème.

Genève, profitant en effet de cette omission, allait rapidement se réfugier derrière une Constitution où seuls les chrétiens pouvaient accéder de droit à la citoyenneté. Considérés dès lors comme des étrangers (français pour la plupart), les Juifs n’eurent d’autre choix que de faire des demandes à titre individuel. Malheureusement, le Conseil d’Etat allait se montrer particulièrement rigide et conservateur, rejetant de manière systématique toutes les requêtes qui lui étaient déposées.

Les Juifs de Genève, entre déception et espoir.

Pour les Juifs, qui avaient vu s’entrouvrir les portes de la grande cité des Alpes après 326 ans d’absence, la déception est grande, même si elle est en partie effacée par le fait qu’ils peuvent désormais tout de même s’établir librement dans tout le canton, ce qui est déjà une avancée certaine alors que dans le reste de la Suisse ce n’est pas encore le cas, si l’on excepte bien sûr les communes historiques de Lengnau et Endingen, dans le canton d’Argovie, qui furent les premières à le faire dès le XVIIe siècle.

La synagogue de Carouge, dans la maison du Comte de Veyrier.

La synagogue de Carouge, dans la maison du Comte de Veyrier.

Il est du reste intéressant de noter à cet effet que le canton de Genève sera finalement le premier de Suisse à accepter cet établissement sur la totalité de son territoire (étant dans l’impossibilité juridique de le limiter à la seule commune de Carouge). Le libre exercice du culte va d’ailleurs également s’imposer de facto pour les mêmes raisons, même s’il est à noter que les Juifs vont plutôt privilégier encore pendant de nombreuses années l’usage de leur synagogue établie à Carouge depuis 1789.

Un libre exercice du culte élargi à Genève

Dans les faits, la question concernant le libre exercice du culte dans la cité même de Genève ne va pas se poser avant 1843. Cette année-là, le Conseil d’Etat se rend en effet compte qu’un lieu de prières israélite s’est bien ouvert depuis quelques temps dans un appartement de la rue du Rhône. Souhaitant obtenir des informations à ce sujet, il convoque alors les responsables communautaires qui vont se montrer plutôt convaincants dans leurs arguments.

En effet, le Conseil d’Etat n’a d’autre choix que d’accepter l’ouverture de cette synagogue: « …car il n’y a pas lieu de s’y opposer, puisque autorisé sur une autre partie du territoire [Carouge] ».

 Marc Dreyfuss, premier rabbin exerçant à Genève.

Marc Dreyfuss, premier rabbin exerçant à Genève.

La communauté juive, qui avait commencé à s’établir progressivement sur Genève, avait dès lors besoin d’avoir un deuxième lieu de culte. Elle fit donc appel à Marc Dreyfuss – qui sera un des grands protagonistes de l’émancipation des Juifs en Argovie – pour devenir le rabbin en fonction à Genève, laissant à Isaac Lévy la charge de la synagogue de Carouge.

L’institution, qui n’était toujours pas officiellement reconnue par les autorités genevoises, avait cependant procédé à d’importantes modifications statutaires. En 1835, elle avait déjà adopté l’appellation de « Communauté israélite du Canton de Genève ». En 1849, profitant des nouvelles lois issues de la Révolution radicale de James Fazy, elle se constitue en « Fondation » avant d’être enfin reconnue par le Conseil d’Etat en 1852.

Cinq ans plus tard, avec le début de la construction de la Grande synagogue, les Juifs établis sur tout le territoire genevois accédaient enfin à la citoyenneté, faisant du canton de Genève le premier en Suisse à accorder cette émancipation.

La Grande synagogue de Genève - 1859 - lithographie de F. Lips

La Grande synagogue de Genève – 1859 – lithographie de F. Lips

Pour rappel:

1696 – Les Juifs peuvent s’établir durablement à Lengnau et Endingen en bénéficiant d’une lettre de protection à renouveler tous les 16 ans.

1816 – Les Juifs de Carouge (établis dans cette commune depuis 1779) peuvent désormais élire domicile à Genève et continuer à exercer leur culte librement.

1857 – Emancipation des Juifs à Genève

1866 – Libre établissement des Juifs sur l’ensemble de la Suisse

1874 – Emancipation des Juifs sur l’ensemble de la Suisse

1879 – Egalité des droits pour les Juifs de Lengnau et Endingen

Article réalisé par Jean Plançon

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